LE PHÉNICIEN DE GUÉRANDE




Création le 1 août 2014
Modification 1 le 8 août 2014

ACTE 1 - IL ÉTAIT UNE FOIS

Au soleil couchant, un Phénicien se balade clopin-clopant dans les marais de Guérande pour rejoindre le port de Corbilon à pied, sa monture ayant chu dans une fondrière ...

Strabon, Géographie, IV, 2, 1 : "Quant au Liger, c'est entre les Pictons et les Namnètes qu'il débouche. On voyait naguère sur les bords de ce fleuve un autre emporium, du nom de Corbilon ; Polybe en parle dans le passage où il rappelle toutes les fables débitées par Pythéas au sujet de la Bretagne. « Scipion, dit-il, ayant appelé des Massaliotes en conférence pour les interroger au sujet de la Bretagne, aucun d'eux ne put le renseigner sur cette contrée d'une façon tant soit peu satisfaisante, les négociants de Narbonne et de Corbilon pas davantage ; et c'étaient là pourtant les deux principales villes de commerce de la Gaule : on peut juger par ce seul fait de l'effronterie avec laquelle Pythéas a menti »."

Et pourtant la journée avait été fructueuse. Il avait fait affaire avec la tribu exploitant une importante carrière d'étain : dix bateaux chargés de vin de Byblos, ou similaire,
contre le même volume de minerai d'étain. Il faut savoir que la guerre faisait rage entre les Hébreux et les Philistins, et que les belligérants avaient besoin d'étain pour reconstituer leurs stocks d'armes en bronze.

Byblos : ville du Liban. Les Grecs la nommèrent Byblos, car c'est de Gebal que le papyrus (ou βύϐλος, déjà ainsi nommé par Hérodote) était importé en Grèce.

Le site antique comprend les fortifications antiques, des tombes de rois de Byblos dont celle d’Ahiram, dans laquelle a été découvert le sarcophage sur lequel est inscrite la plus vieille transcription phénicienne et enfin le fameux puits naturel, lieu originel de l’une des plus vieilles villes du monde. 

Le sarcophage d’Ahiram est aujourd’hui exposé au Musée national de Beyrouth. Byblos est habitée de manière continue depuis plus de 7 000 ans, ce qui en fait l'une des plus anciennes villes du monde. Les traces les plus anciennes d’une occupation humaine sur le site sont celles d’un village de pêcheurs du Néolithique, établi probablement vers 5000 av. J.-C..


Dès le milieu du IIIe millénaire av. J.‑C., la cité-État de Byblos est colonisée par les Phéniciens et devient un centre religieux important.


Pour prouver la qualité du vin, les libations avaient été généreuses, et ce qui devait arriver est arrivé : le Phénicien a chu dans une autre fondrière, et plouf ! Comme il ne sait pas nager, c'est ainsi qu'il termine sa carrière de voyageur représentant placier. Ses restes se sont lentement dissous dans le marais, sauf son "multipass", une sorte de passeport osismo-vénèto-greco-phénicien gravé sur une plaque de schiste et délivré par la gendarmerie de Corbilo. Par ces temps troublés, beaucoup d'escrocs se faisaient passer pour Grecs ou Phéniciens, et de nombreuses plaintes ont été déposées quant à la qualité de la marchandise livrée.

Strabon a beau jeu de traiter Pythéas de menteur effronté. Et pourquoi pas nous pendant qu'il y est ?

http://phenicienkersco.blogspot.fr/search/label/5%20-%20LE%20STAT%C3%88RE%20DE%20PYTHEAS

ACTE 2 - BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE ET HISTORIQUE DE NANTES ET DE LA LOIRE INFÉRIEURE

Les marécages de Guérande sont devenus des marais salants, le sel étant devenu une matière première imposable - la gabelle. Mais l'activité salicole y est apparue dès le Néolithique.


Si vous voulez tout savoir sur les marais salants de Guérande, rien de plus facile :

http://gaela.asso-web.com/uploaded/ms1.pdf

La gabelle vient d'un mot d'origine arabe KABALA qui signifie taxe - , sauf en Bretagne et en Loire Atlantique, pays "franc de gabelle"'… mais en 1675, pendant la révolte des Bonnets rouges survenue en Bretagne et déclenchée par des mesures fiscales sur le papier timbré, le tabac et la vaisselle d'étain, la simple évocation de la gabelle peut mettre le feu aux poudres.

  
Dans le Bulletin de la Société Archéologique et Historique de Nantes et de la Loire-Inférieure, on peut trouver un article de 1933 ( tome 73ème ) du Colonel Balagny sur les Phéniciens en Loire-Inférieure... et la découverte d'une plaque de schiste dans les marais de Donceil :





ACTE 3 - TENTATIVES DE DÉCHIFFREMENT

 
Les tentatives de déchiffrement n'y font pas l'unanimité sur le texte, même si les présomptions sont grandes pour que les graffitis aient un rapport plausibles avec les inscriptions phéniciennes connues.

Il a fallu attendre jusqu'en 1907 pour qu'un membre de la Société polymathique du Morbihan, Monsieur Ramin, hébraïste distingué, tentât une interprétation basée sur une méthode nouvelle. M. Ramin, se basant sur la ressemblance des caractères de l'inscription avec les lettres hébraïques, déchiffra méthodiquement les caractères phéniciens dont il donna l'analyse lettre par lettre et aboutit en fin de compte à une lecture des plus plausibles. 
C'était, d'après son interprétation, une sorte de note de commerçant, ou de prospectus au sujet du rapport entre le poids du minerai d'étain brut et du minerai raffiné, qui proviendrait d'un navigateur phénicien, ou plutôt carthaginois, et permettrait de se demander si l'on ne se trouvait pas en présence d'une trace de la fameuse expédition d'Himilcon...

Cette traduction de M. Ramin, très ingénieuse et très hardie, a été jugée par les "compétences" comme teintée d'arbitraire et de fantaisie malgré l'attrait que comportait son sens très logique et très clair.

Après M. Ramin, ce fut l'abbé Gry, de l'Université d'Angers, savant orientaliste, qui reprit la question en 1917 et s'attacha à la critique rigoureuse de chacun des signes de l'inscription, dans laquelle il reconnut des signes bien phéniciens ; il proposa une nouvelle lecture en se basant sur des rapports de similitude scientifiquement reconnue entre les signes de l'inscription et ceux de certaines inscriptions phéniciennes authentiques et en même temps qu'il établissait l'identification de deux caractères grecs et phénicien, donnant la signification de "Mer" ; il aboutit ainsi à la version suivante :
III° - Mer 10 (en grec) - Longueur 21 sur terrain sec - Mer 10" (en phénicien)

qui établissait une sorte de consignation bilingue des mesures d'une distance aboutissant à la mer : on se serait servi d'une unité de longueur commune, le stade grec de 85m, puisque la même mention existe en grec et en phénicien.

Mais certains des signes tracés sur le galet étaient un peu trop indécis pour justifier une indication certaine.


(Bulletin de la Sté Archéologique et Historique de Nantes et de la Loire-Inférieure : article de 1933 (tome 73ème) du Colonel Balagny sur les Phéniciens en Loire-Inférieure)

LES CONTRE :

Mais, d'après un article de Jacques Santrot, ancien directeur du Musée où est entreposé l'objet :

- B.S.J. Leeds, ( s'agit-il de BSJ Isserlin et non de Leeds ? ) chef du Department of Semitic Studies - Harvard University - a observé que les graffitis étaient partiellement superposés et dataient d'époques différentes, que quatre caractères au centre de l'inscription, pouvaient passer pour des caractères grecs, et que les autres pouaient être des caractères phéniciens. Cependant, certains caractères lui ont paru très récents et ont jeté le doute sur l'ancienneté du document.

- Maurice Sznycer  (historien, philologue, archéologue, épigraphe et sémitisant français, né en Pologne en 1921 et mort à Paris le 29 juillet 2010. Ses travaux ont porté tant sur le monde proche-oriental que sur la civilisation carthaginoise.) "Evidemment, en cherchant bien et en forçant un peu, on pourrait retrouver dans cette suite un ou deux signes qui pourraient à la vigueur ressembler à des lettres phénico-puniques … Cependant presque tous les autres signes restent énigmatiques et ne donnent rien. Mais s'agit-il seulement d'une inscription ou simplement de gribouillage ?"

 
- James-Germain Février (spécialiste des textes puniques) "Les signes sont mal copiés. La disposition générale, notamment l'alignement fantaisiste, ne répond en rien à l'ordination habituelle des inscriptions phénico-puniques. Aucun sens ne paraît se dégager … L'inscription est un faux, même pas très adroit à une époque (seconde moitié du XIXème siècle) où ces faux pullulent. On part d'une certaine connaissance de l'hébreu et on s'efforce de transposer un certain nombre de lettres sans penser d'ailleurs à les former très correctement".

 
Jacques Santrot conclut donc (péremptoirement) :
"Cette inscription est donc définitivement réputée fausse. Il ne s'agit pas d'une erreur d'interprétation mais d'un faux délibéré dont on ignore la paternité réelle."

 

ACTE 4 - CONCLUSION


Dans cette affaire, il est clair que rien n'est clair !

Comment conclure, alors qu'aucune interprétation de ces signes n'est satisfaisante ? Était-ce bien du phénicien classique, ou du "phénicien dialectique", ou des sigles (singulae litterae, dont les Romains ont fait une utilisation abusive), ou un mélange de plusieurs langues, comme le "franglais" qui trouve depuis peu quelque audience en France ?

Et que dire de l'inscription "en caractère sidonien" dont il est fait état dans le Bulletin de la Société archéologique de Nantes (tome XIV, page 44, année 1875) trouvée par un chercheur guérandais au village de Clis, près de Guérande ?



Quoiqu'il en soit, le musée, qui conserve la plaque de schiste, nous en a aimablement envoyé une photo, mais nous réclame 10 euros pour la publier … alors que selon ses conditions générales d'utilisation : "La gratuité des fournitures photographiques est accordée aux étudiants, chercheurs et enseignants-chercheurs, universitaires, pour les besoins de leur recherche ou de leur enseignement quel que soit leur organisme de formation, à condition que ces fournitures ne s’insèrent pas dans des supports à caractère commercial".

Or Dakerscocode est un site ni politique ni commercial, mais stratégique et de culture générale.

Il est piquant de constater que le Musée National de Chine nous a donné gracieusement le droit de publier des photos d'objets anciens chinois - des vrais - dont ci-dessous l'autorisation (vous pouvez la traduire, elle est vraie) :

谢谢您的邮件和对我馆的尊重。鉴于您申请的这三张照片作为博客之用,如您所陈述的既不含政治性,也不含商业性,建议您注明照片来源于“中国国家博物馆”就可以,谢谢

CONCLUSION

Nous serons amené à faire faire de l'inscription une interprétation artistique originale, un vrai-faux en quelque sorte.

Phénicien, si tu nous lis !