OUESSANT SACRÉE

 Création le 11 juillet 2010
Modification 2 : le 15 avril 2013 - Relations des fouilles




Perles et morceaux de verre provenant d'Égypte - Musée de la Préhistoire - Ouessant


Maquette de reconstitution de hutte - Musée de la Préhistoire - Ouessant


Hypothèse de trait de côte vers l'âge de bronze, certainement fausse, mais pas si fausse ...
  
En découvrant les ruines d'une église et de son clocher, les archéologues du 3ème millénaire feront peut-être deux hypothèses :
a) Il s'agissait d'un lieu de culte ;
b) Les Terriens adoraient un animal sacré, le coq.

L'archéologue qui fouille les ruines d'un village du premier âge de bronze de l'île d'Ouessant depuis 20 ans et qui découvre in fine une bernique en bronze peut se poser également de nombreuses questions sur les motivations de l'artisan qui a réalisé cet objet.

Étrange village que ce "Mez-Notariou", au centre et proche d'une des parties les plus élevées de l'île d'Ouessant, le point sur le i de la Bretagne et de l'Europe.

Sur notre lexique breton-français, nous avons noté que mez pouvait vouloir dire campagne, gland, hydromel ou honte. Aux bretonisants de trancher. Quant à notariou, il s'agit bien du notaire. Quoiqu'il en soit, cette parcelle, par chance, était communale, et également par chance, on y a découvert, sous une couche de terre idéale pour la culture des petits pois, des villages successifs construits obstinément au même endroit.


Cela fait penser à une communauté religieuse, avec une zone d'offrande et/ou de sacrifice, où l'on trouve pèle-mêle des épaules droites d'animaux, des perles d'ambre de la Baltique, du verre égyptien, des objets détruits par esprit de sacrifice ... et des dizaines de milliers de coquilles de berniques, ex-votos ou débris de grande bouffes collectives. On peut aussi hasarder l'hypothèse que la bernique représentait l'attachement à son rocher contre vents et marées, donc un modèle dont il fallait s'inspirer pour résister victorieusement aux puissances marines et célestes ...

Comment retrouve-t-on l'histoire de ce village ? À l'organisation de ses hutte en bois, avec ruelles au cordeau "à la romaine", dont les trous de fondation de poteaux sont tous à peu près au même endroit, par volonté de reconstruire à l'identique suite à des incendies ou des abandons temporaires ? Ce village comptait de l'ordre de 300 à 400 habitants, ce qui ne préjuge pas de la possibilité d'existence d'autres villages dormant encore sous le bourg de Lampaul ou quelque part sous la lande impénétrable.

Il faut dire qu'à ces époques, le niveau du trait de côte était de plusieurs mètres inférieur au niveau actuel. Si on fait une simulation en considérant émergée la courbe bathymétrique actuelle, ce qui est faux compte tenu de l'érosion de la mer sur des terres meubles, on obtient la superficie d'une très grande île, une "île verte", dont il ne reste plus d'émergé que Molène, Beniguet, Quéménès, Balanec et autres îlots battus par les flots.


Cette île verte, mais basse, était idéale pour la culture, l'élevage, et permettait un accès facile à Ouessant, malgré les courants et les brumes imprévisibles. Actuellement, on a pu relier le continent à Ouessant à la godille et même à la nage. Le paquebot "Normandie" a même défilé dans le passage du Fromveur. Mais malheur à qui ne connait ou ne connaissait pas les conditions de navigation.

Donc un sanctuaire du bout du monde, la possibilité de nourrir une population assez nombreuse d'insulaires et de pèlerins, et l'existence quasi nécessaire d'une capitainerie fournissant des pilotes aux navires marchands désireux de se sortir à bon compte d'une passe redoutable : "Qui voit Ouessant voit son sang". 


Il faut avoir vu tel bloc de 20 tonnes, manifestement porté en lévitation sur plusieurs dizaines de mètre dans l'écume de ce chaudron de sorcières hurlant, pour comprendre l'effroi qui vous saisit rétrospectivement. Combat titanesque de l'eau alliée à l'air contre la pierre. Un coup de brouillard qui efface tout, et on recommence, encore et encore, pendant des siècles. Mais la nature riante prend souvent le dessus.


Au loin, le phare - le téléphérique n'a pas été rénové

 Tel gardien de phare dont le "lieu de travail" était relié à la terre par un téléphérique, surpris par la tempête lors du transbordement, est resté la tête en bas pendant 70 heures dans la nacelle qui s'était retournée ; il en est devenu fou. Ou tel capitaine de bateau, pendant la guerre de 14, ayant vu la tourelle d'un sous-marin allemand embossé en quête d'une proie, décide de le détruire à l'abordage. Hélas, ce n'était qu'un rocher ayant dans la brume la forme du dit "U-boat".

Himilcon, le Phénicien, chargé d'explorer les possibilités commerciales du nord, comme Hannon celles du sud, n'a pas pu ne pas faire escale à Ouessant. Pythéas, le Grec marseillais qui vers -320 a exploré une nouvelle route de l'étain a du aussi sacrifier aux puissances marines et éoliennes d'Ouessant. Il semblerait qu'au cours de son expédition, l'un de ses navires contenant le coffre aux pièces d'or se soit échoué sur les bancs rocheux de l'île de Rosservo, près de Lampaul Ploudalmezeau, en voulant se mettre à l'abri dans l'aber Benoît.

Lampaul, ici et là, c'est le souvenir de Saint Pol (de Léon) Aurélien, qui, dans sa hâte d'en finir avec les païens, a pu envoyer un de ses missionnaires terminer la carrière religieuse du sanctuaire d'Ouessant, à moins que ce ne soient les Germains qui aient dévasté l'Armorique, laissant la place libre à l'impatriation bretonne.

Donc Ouessant a tenu une grande place dans le monde antique, mais jusqu'à 1988, on n'en savait rien !

Jean-Paul Le Bihan est archéologue de la Ville de Quimper et directeur du centre de recherche archéologique du Finistère. Depuis 1970, il a dirigé plus de 150 opérations de fouille. Outre celle d'Ouessant, plusieurs d'entre elles constituent de véritables référence. Avec Jean-François Villard, il a entrepris la publication du résultat d'un quart de siècle de recherches archéologiques en plusieurs tomes, les tome 1 et 2 ( site archéologique de Mez- Notariou et le village du premier âge du Fer) parus.

Ce n'est pas un ouvrage "grand public", car il est très technique, mais il comporte tout sur tout. En plus de 600 pages grand format, il explique en long en large et en profondeur ce qu'est la quête d'un archéologue moderne pour ne rien laisser au hasard. Le parti éditorial est d'une qualité exceptionnelle : Apprenti archéologue, ou simplement amateur éclairé, c'est le livre qu'il faut vous procurer pour comprendre qu'entre le "gratouillage" du terrain et les techniques les plus modernes assistées par ordinateur il y a un monde. Il faut aussi aller à Ouessant visiter le musée archéologique, colocataire d'une très belle exposition d'optiques de phares, situé dans l'ancienne centrale électrique de l'île. On y verra la fameuse bernique en bronze, des quantités de vases en terre cuite partiellement reconstitués, qui rappellent étrangement les poteries d'Europe centrale, de petits lingots d'or et de bronze, des modèles réduits de "propositions d'habitat". Et si vous avez la chance de tomber sur Jean-Paul Le Bihan, quel régal !

Voilà. Les fouilles  s'achèvent. Certaines parties du village, trop répétitives, ne seront pas fouillées. Les ruines seront enfouies. Il ne restera plus que le musée et le livre, à moins que ...


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La plus ancienne référence du voyage d'Himilcon est une brève mention dans l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien. Himilcon est cité trois fois par Avienus, qui écrivit un récit poétique sur la géographie au IVe siècle. Ce périple dut avoir lieu vers 450 av. J.-C. environ. Festus Avienus cite comme sources Himilcon lui-même et des annales puniques. Il mentionne une "île sacrée", la "nation des Hibernes", l'"île des Albions".



Certains auteurs estiment que l'île sacrée serait l'Irlande. Mais Ouessant a toutes les  caractéristiques pour être cette "île sacrée" d'Himilcon.

Ultime question : les Phéniciens sont-ils passés par Ouessant ? Oui ... mais il ne faut pas le dire !



Ces deux tomes de l'histoire des fouilles montrent à quel point on peut tirer de renseignement, dans le cadre de l'archéologie moderne,  à partir d'infimes indices. Avec des photos en relief, s'il vous plait, et des lunettes bicolores incluses. C'est le résultat de 25 années de fouilles méthodiques. On imagine le travail qu'il a fallu fournir, rien que pour réaliser ces ouvrages.