ENQUÊTE SUR UNE STATUE



 Création le 19 novembre 2009


ENQUÊTE SUR UNE STATUE DITE "DE TANIT"

Henri Dresch n’était pas archéologue, mais constructeur de motocycles. Il a été aussi le créateur du domaine hôtelier de Rochevilaine (de la chaîne hôtelière "Relais et Châteaux"). Pour construire ses "guest houses" il a emprunté des vieilles pierres un peu partout dans la région. C'est ainsi que d'un tas de pierres provenant des ruines d'une chapelle, il a extrait une statue ressemblant à Tanit, voire à Astarté.
Mais il n’avait pas prévu de carnet de fouilles. Les témoins de la découverte ayant disparu, il fallait repartir de zéro.
 

D’où provenait le granit de la statue ? Les amis des amis se passionnent pour l’affaire... Finalement Michel Minor, expert en carrières, et Louis Chauris, spécialiste des granits bretons trouvent la carrière à une quinzaine de kilomètres au nord. La chapelle en ruine est - probablement - positionnée à l’emplacement même du domaine de Rochevilaine, grâce à l’étude de la carte de Cassini de la région. Très curieusement, le nom de «Cartageo» est même indiqué près de l’emplacement de la carrière. En prime, il y avait aussi un menhir couché et redressé à Rochevilaine.

La pauvre «Tanit» a subi moult dommages : crâne décalotté, bras gauche et une partie du bras droit perdus, sein droit coupé. Sinon son état général est satisfaisant : elle n’a pas subi l’outrage du temps qui affecte la plupart des statues de granit et autres exposées aux intempéries bretonnes. Bien entendu, ce n’est pas le petit manteau ciselé dans la pierre lui couvrant les épaules qui explique cette bonne santé. Tout ceci fait dire à Sir Barry Cunliffe, archéologue anglais réputé - à qui nous avons envoyé une photo - que l’aspect en paraît bien neuf. C’est aussi l’avis d'universitaires bretons, qui pencheraient plutôt à considérer «Tanit» comme une œuvre du XVIIIème siècle commandée par le châtelain le plus proche. 


Comme la statue ne provient pas d’un gisement où l’analyse de l’environnement au carbone 14 pourrait donner des certitudes, il ne reste plus qu’à bâtir un scenario pouvant résister aux critiques les plus diverses.
- Sur les dimensions plutôt centimétriques : les anglo-saxons ont bien le pouce comme unité de mesure, pourquoi pas le doigt (exemple : être à 2 doigts de réussir, et un doigt de champagne) ?
- Sur la faible érosion des angles : la statue pourrait avoir été protégée pendant des siècle. Comme le pense l’archéologue Jean-Paul Le Bihan, l’érosion superficielle n’est pas proportionnelle à l’âge, mais dépend de l’environnement. 


Supposons l’hypothèse suivante : Érigée au sommet d’un temple vers -100 B.C., la statue est mise à bas par les légionnaires de César dans la lutte contre les Vénètes, suivant le principe «Delenda est Cartago» appliqué aux alliés de Carthage. On s’acharne sur elle, on lui casse la tête, les bras et un sein et on l’abandonne dans les décombres du temple sur lesquels ronces et lierre forment un écran salvateur. 

Du tas de pierre, plusieurs siècles plus tard, les chrétiens en font une chapelle, perpétuant ainsi un culte immémorial : menhir, temple, chapelle. La chapelle tombe en désuétude, comme un certain nombre d’autres édifices religieux vers le XVIIème siècle. Si tant est que la statue est exposée aux intempéries, cela ne dure pas longtemps : le roncier envahit tout jusqu’au moment de la construction de l’hôtel, lorsque toutes les pierres sont systématiquement récupérées.
 
- Le lieu où la statue est réputée avoir été trouvée est-il incongru ? Non, car il se trouve en pleine région des Cassitérides, c’est à dire là où on peut s’attendre à trouver un temple de Tanit.

- Pourquoi les historiens anciens non-carthaginois n’en parlent-ils pas ? Parce que ce temple serait trop récent ... ?
- Le caractère unique de la statue ? Ce pourrait être le début d'un courant "néo-punique" local, bien vite étouffé par la guerre des Gaules ...

 
Plus au nord, à Ouessant, les Carthaginois ont sans doute pensé que la place était déjà occupée par d’autres divinités, et qu’un culte à Tanit ne se justifiait pas. Sans compter qu’ils devaient être beaucoup moins nombreux à poursuivre le voyage, en raison de la rigueur du climat et peut-être aussi du comportement des indigènes.

Cette hypothèse n'ayant pas de valeur probante, il faudrait que les archéologues fassent une trouvaille ... En attendant, qu'elle est mignonne, la petite Tanit, dans son jardin méditerranéen en bordure de mer !