LE STATÈRE DE PYTHEAS



http://youtu.be/1U24w6Bzy8Q














Création le 20 octobre 2010

(Mise à jour 2 : 7 septembre 2011)


Modification 3 le 20 mars 2017 : on a retrouvé le statère ! Voir fin de l'article
 

Vers -320 BC, un Grec de Marseille, dont le nom restera dans l'histoire,
est missionné par la chambre de commerce, ou bien travaille en "freelance". Quoiqu'il en soit, il n'a pas de grands moyens, et son objectif est périlleux :

On sait que les Carthaginois bloquent l'accès aux Cassitérides (entre Belle Ile et la Vilaine) par la mer, et que les Celtes de la Tène commencent à gêner la voie commerciale habituelle passant par le Rhône et la Loire vers Corbilo - emporiun à l'embouchure de ce dernier fleuve - où se négocie le minerai de plomb blanc (l'étain). Il faut donc trouver une voie médiane, découvrir d'autres sources de minerai d'étain et cartographier tout cela au profit des marchands grec qui peinent à se faire une place au soleil face à la concurrence de l'empire phénicien.

Accompagné de peu de monde, il fait du bateau-stop jusqu'à Narbonne, et descendra la Garonne vers Bordeaux. Puis il poursuit sa route comme passager sur les bateaux vénètes. Par les colonnes d'Hercule, le trajet Massilia-Cassitérides fait 3200 km. Ce nouveau trajet n'est long que de 500 km.

Il y a déjà un certain temps que les alluvions d'oxyde d'étain de la Galice ont été surexploitées, et que les Cassitérides sont la chasse gardée des Carthaginois. Il faut donc aller plus loin, faire le tour de l'Armorique et contacter les Ostimioi (Osismes ... les Léonards), discuter les cours de la matière première en pièces d'or, en verre coloré, vêtements, parfums, vins et huiles avec les habitant de Ouexisame (Ouessant) qui fournissent également les pilotes à ceux des Vénètes qui veulent naviguer plus au nord vers Albion, ou la Baltique.

Ce voyageur explorateur sera connu sous le nom de Pythéas. Ce dernier n'aura pas pu ne pas faire escale à Ouessant, où il aura certainement rencontré d'autres voyageurs représentants placiers carthaginois en pension à "l'hôtel du Commerce".

Sir Barry Cunliffe raconte son histoire dans son livre "The extraordinary voyage of Pytheas the Greek - The man who discovered Britain". Un indice très troublant est la découverte d'un statère en or que Barry Cunliffe rapporte en ces termes :
"The point is nicely made by the discovery of a gold stater, minted in the Greek town of Cyrene between 322 and 315, founded at Lampaul-Ploudalmézeau in the north-west corner of Finistère, only 30 km from Ushant. The piece, in almost mint condition, was washed up on the beach, attached to the root of a piece of seaweed. Could it have been brought by Pytheas ? We shall of course never know, but how tempting to think it was."

Ce que Sir Barry Cunliffe ne dit pas, c'est que la plage de Lampaul-Ploudalmézeau est située près de l'aber Benoit, dont l'embouchure forme un port naturel parfaitement abrité, qui peut contenir une centaine de bateaux, et qui est le débouché de toute une région très riche en alluvions stannifères, exploitées depuis des millénaires (datation des cendres de bois des fours au carbone 14).

Ce que dit Dominique Frère (UBS, histoire ancienne) dans la revue PATRIMOINE, bulletin de la Société Archéologique de Corseul la Romaine de mai 2008, article sur "Les relations entre la Méditerranée et l'Armorique protohistorique" : "À partir de la fin du Vème du IVème siècles, la présence celtique en Méditerranée est amplement attestée par le phénomène des invasions et incursions militaires, et par celui du mercenariat. Les Grecs, les Étrusques, les Carthaginois, payent ces mercenaires celtes, sous la forme de monnaies en particulier en or, qui représentaient le bien le plus précieux, non seulement du point de vue financier, mais aussi pour le prestige qu'elles conféraient à son propriétaire. Les pièces de monnaie grecques de la fin du
Vème du IVème siècles mises au jour dans le Finistère, peuvent avoir appartenu à ces mercenaires revenus de campagne militaire."

Et ce que dit le célèbre numismate Colbert de Beaulieu à propos de cette pièce et des autres découvertes identiques : "En supposant à ces monnaies isolées une perte antique, ce qui demeure hypothétique faute de contexte, leur caractère épisodique, leur unicité n'autorisent aucune conclusion définitive."

Mais :

Sous le titre "Un statère d'or de Cyrénaïque découvert sur une plage bretonne et la route atlantique de l'étain", J.-B. Colbert de Beaulieu et P.-R. Giot racontent l'histoire extraordinaire de la découverte du statère d'or. Pour la relation complète :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_1961_num_58_5_3754

En résumé :
Mars 1960 - Suite à une forte tempête, un retraité brestois, à la chasse vers la plage de Porsgwen en Lampaul Ploudalmezeau, ramasse quelques sacs de goëmon parmi la quantité fabuleuse couvrant l'estran, et les met comme engrais entre ses salades dans son jardin.


Au bout de 15 jours, le goëmon a pourri et notre retraité distingue un point qui brille entre ses salades.
 

L'analyse révèle une origine marine indiscutable. La zone où cette pièce d'or a pu être perdue couvre au moins 25 km2 en mer. L'espoir de trouver le lieu d'un naufrage est quasiment nul.
 

La pièce d'or pur pèse 8,53 g. On y voit, au droit, un quadrige au galop à droite conduit par la Victoire au dessus d'une ligne de terre en exergue. Devant la Niké, au dessus de l'attelage, l'inscription KYPANAION ; au revers, Ammon, debout de trois-quarts à gauche, torse nu, le bas du corps drapé d'un morceau d'étoffe rejeté par devant sur l'épaule gauche, tenant de la main gauche un long sceptre terminé en haut par un fleuron et de la main droite étendue une phiale ou coupe à libations. À gauche se dresse un thymiatérion ( encensoir à plateaux ). À droite le long du sceptre, le pied des lignes centrifuges et, verticalement disposé, le nom, au génitif, du magistrat monétaire, Poliantheus.

Reste le problème de la date de son abandon.


De l'examen de la pièce, on peut en tirer quelques conclusions :
- la pièce, presque neuve est passée entre peu de mains ;
- il semble qu'un événement brutal ait comme limé d'un coup la tête des deux chevaux extérieurs et le corps du cheval formant la droite de l'attelage. Cette constatation paraît étayer l'hypothèse de la conservation millénaire, peut-être dans un coffre, et sa libération brutale et proche de nous dans le temps.
- Sa frappe se trouve datée par le nom du magistrat Polyanthès entre des limites assez étroites 322 à 313 avant J.-C.
 

On peut faire le rapprochement avec les dates usuellement assignées au voyage du massaliote Pythéas dont un de ses navires, portant un coffre rempli d'or en valeur de troc, ait fait naufrage. Marseille ne battant pas de monnaies d'or, il est naturel que l'encaisse des navires comporte des statères d'autres cités grecques.

Cette pièce d'or unique a été photographiée (cf ci-dessus), puis sa trace a été perdue. Si vous allez à Lampaul-Ploudalmézeau, vous serez fasciné par la beauté de ses plages quasi-désertiques, et vous ne manquerez pas de retourner quelques algues échouées, on ne sait jamais.


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Aux dernières nouvelles :


Une rarissime pièce grecque est présentée aux Journées nationales de l'archéologie au Musée de Bretagne. C’est grâce à Jean-Louis Aicard qu'elle a été sauvée des limbes !

Jean-Louis Aicard, instituteur à la retraite, ancien directeur d’école à Rennes, vit à Dingé, où il est correspondant local pour Ouest-France. C’est aussi un numismate de haut niveau, collectionneur de pièces anciennes, spécialiste des monnaies antiques grecques.

Et c’est grâce à lui que le statère d’or de la Cyrénaïque, nouveau petit trésor du musée de Bretagne, exposé ce week-end dans le cadre des Journées nationales de l’archéologie, a été sauvé des limbes ! « La première fois que j’en ai entendu parler, c’était dans les années 1990, en feuilletant un bulletin d’archéologie,
raconte ce passionné de vieux sous. Je tombe sur un article qui raconte sa découverte par un chasseur, sur une plage de Ploudalmézeau [Finistère], en 1959. J’ai eu envie d’en savoir plus. J’ai écrit, téléphoné… Plus personne ne savait où elle était. »

Le collectionneur breton n’a pourtant jamais oublié le statère, continuant à le guetter dans les publications spécialisées ou les ventes, en Europe comme aux États-Unis. Onze ans plus tard, en 2013, c'est en feuilletant un catalogue qu'il tombe sur le statère. Collection permanente du musée


Sûr de son fait, Jean-Louis Aicard alerte Françoise Berretrot, conservatrice au musée de Bretagne. « On était à deux jours de la clôture de la vente, il fallait aller très vite et ça n’a pas été simple. Comme tout le monde était persuadé que la pièce avait été perdue, personne n’avait porté plainte. »

 Le fameux statère avait pourtant rejoint la collection d’un particulier. Les services de l’État ont pu prouver qu’il s’agissait bien de la monnaie disparue et obtenir sa restitution. Grâce à Jean-Louis Aicard, son nouveau « découvreur ». Il l’a présentée au public, hier à 15 h, au musée de Bretagne, la piécette ayant rejoint la collection permanente du musée rennais. Et il recommence aujourd'hui, même lieu, même heure.