SEIN ET LES PHÉNICIENS



Création 10 juin 2009

Modification 1 le raz de Sein - 29 juillet 2015

 

"Qui voit Molène voit sa peine, qui voit Ouessant voit son sang, qui voit Sein voit sa fin". Ce dicton breton était encore plus vrai il y a 3000 ans, lorsque le niveau de la mer était plus bas de l'ordre de 3 ou 4 mètres et donc que les rochers affleurant étaient encore plus nombreux que de nos jours. Les périodes de brumes étaient sans doute plus intenses, climat plus frais oblige.

Qui voit Sein voit-il des Phéniciens ? Bonne question.
Comme dans tout pays "breton" qui se respecte, il y a de petits menhirs dans le nord-ouest de cette petite île, voire deux menhirs, les "Causeurs" (décrits dans les guides locaux comme mâle et femelle) sur la place de l'église.

Voyons l'histoire.
 

D'après ceux qui citent Artémidore, relayé par Strabon, qui visita l'Espagne en 100 B.C., il y avait sur une île au large de l'Armorique, un sanctuaire de la prostitution sacrée - avec prêtresses - où sont pratiqués des rites pareils à ceux de la Méditerranée.
 

D'après ceux qui citent Pomponius Mela, géographe de l'an 43, les prêtresses d'une oracle "gauloise" étaient sanctifiées par le vœu d'une virginité perpétuelle. Comme lui-même n'y avait jamais mis les pieds, on lui pardonnera la dénomination de "gauloise", mais pas la gauloiserie. Il n'y a pas d'inconvénient à ce que la divinité en poste soit Tanit, déesse de l'amour, qui réconforte les marins et leur donne le goût de continuer ou de revenir. Mais il n'y a pas d'obligation non plus. Tanit ou pas, il faudrait qu'il y ait eu un sanctuaire.
 

Maintenant, il faut croire Monsieur Lacroix, le conducteur de travaux qui dirigea le début de la construction du phare d'Ar-Men, l'un des phares les plus célèbres, par l'opiniatreté qu'il a fallu déployer, en dépit de la houle persistante (la première année 8 heures de travail possibles seulement !).

Celui-ci relate qu'on eut besoin " de prendre comme remblai une notable quantité de galets des grèves du sud de l'île. Après avoir enlevé une couche d'environ un mètre d'épaisseur, dont la partie supérieure était baignée par la limite du flot, on fut étonné de découvrir les restes d'une maison parfaitement établie sur le rocher."
 

D'autre part, pour consolider la digue de protection du quai des Paimpolais, on trouva également en 1850 des fondations de maisons. Temple de Tanit et maisons des vierges ? On peut rêver, mais si ce n'est pas vrai, il faut trouver une autre explication, absente jusqu'à présent.

Si on présume un cabotage atlanto-méditerranéen des "peuples de la mer" qui, depuis des millénaires ont érigé des mégalithes de l'Angleterre à la Turquie, les liens génétiques (et linguistiques) entre les Phéniciens et les Vénètes de la côte étaient sans doute plus forts qu'on ne l'imagine maintenant. Et qui a enseigné à qui la navigation ? Lorsqu'à l'issue des guerres puniques la puissance romaine a éradiqué l'influence militaire carthaginoise, restaient les Vénètes dont César s'est chargé d'éradiquer la puissance maritime :
"Par leur marine considérable, leur supériorité nautique bien reconnue et leurs relations commerciales avec l'île de Bretagne, les Vénètes étaient devenus un peuple très puissant dont l'autorité s'étendait au loin sur tout le littoral de la Gaule et de la Bretagne insulaire. Ils possédaient un petit nombre de ports situés sur cette mer ouverte et orageuse à de grandes distances les uns des autres et rendaient tributaires presque tous les navigateurs obligés de passer dans leurs eaux." (Guerre des Gaules III - 8)


Mais quelles eaux ! Au retour de sa campagne hydrographique de 1817, l'ingénieur hydrographe Beautemps-Beaupré n'hésite pas de prévenir : "Ce grand plateau est tellement dangereux que nous pouvons affirmer que tout navigateur qui le traversera sans le secours d'un bon pilote de l'île de Sein ne devra son salut qu'à un heureux hasard".


Avant l'utilisation massive des boussoles et des cartes marines, les voyages se caractérisent par la peur au ventre, un sentiment confirmé par les nombreux testaments écrits par les marins et les passagers avant l'embarquement, la peur au ventre.


Il faut ensuite interroger la toponymie. Les habitants de cette région sont conservateurs. Quels sont donc les signaux qui ont surnagé après l'occupation romaine, puis la déferlante linguistique bretonne venue d'Irlande et du pays de Galle, sans compter les Germains et les Vikings ?

Il y a d'abord le lieu dit "Ar gador", au nord-est de l'île, un peu au nord de l'église. C'est une surface rocheuse à peu près horizontale, non construite actuellement - sauf les ruines d'un moulin à vent - . A son extrêmité maritime on voit un massif rocheux sur lequel on aurait très bien pu ériger une tour de guet, au sommet de laquelle aurait pu être placé un bûcher.
 
En phénicien "gador" est une ville ou enceinte fortifiée : Mogador, Agadir, Gadès (Cadix). En breton, "kador" est une chaise, un siège. Mais on dit bien le siège du parlement, le siège d'une société, le Saint-Siège, on fait le siège d'une ville (forte). Il n'y a pas antinomie. On dit aussi "faire le cador". Et quid d'Abd el-Kader ?
 
Est-ce pour autant qu'un groupe de Phéniciens a mis le pied sur ce "gador" ? On cherche un peu plus au nord et on trouve l'îlôt de Tévennec, assez élevé, sur lequel on a construit un phare et sa maison de gardien en 1871. Le premier gardien est devenu fou, le second est mort de maladie sans qu'on puisse venir le chercher pour le soigner. Tévennec = Ty Veneg = la maison du Phénicien ? Un feu au sommet de l'îlot pouvait transmettre un signal de Morgat à Sein, ou indiquer aux bateaux qu'il était préférable de passer côté terre.

Il y a aussi "Ar Gouelvan" ( à rapprocher de Guilvinec et de l'anse de Goulven ) le "bourg des Phéniciens", aujourd'hui un simple point en mer, au large du port.

Il y a enfin le nom de Seid Hun donné à l'île par Gradlon, roi de Cornouaille, pour héberger Gwénolé. Cela fait penser à Sidon, avec un peu d'imagination. Mais Sein s'est aussi fait appeler Sena, Saint, Sizun ; ses habitants les Sizunais, les Senais ...

À quoi Sein pouvait servir aux Phéniciens : On peut imaginer la feuille de route suivante :
- Une section de commandos de marine a en charge la sécurisation de la route commerciale, en empêchant les pirates divers de se mettre en embuscade dans l'île. Ils transmettent les signaux (feux et/ou fumée) venant ou allant de Morgat (dont la colline proche s'appelle "penn ar gador") à Audierne. Ils doivent sauver les équipages et cargaisons en cas de naufrage. Ils doivent aussi protéger les prêtresses de Tanit. Enfin ils pêchent les bars, les homards et chassent les lapins sauvages qui pullulent sur l'île entre deux exercices de combat.
- Un groupe de prêtresses de Tanit forme une cellule de soutien psychologique aux marins phéniciens, carthaginois et autres,
victimes des fréquents naufrages, - moyennant finance -  fait la popote des commandos, cultive les petits jardins et élève les enfants issus d'unions diverses pour en faire des commandos ou des prêtresses.

Conclusion provisoire :

À ce jour, peut-on dire que des Phéniciens ont habité l'île de Sein ?
- Oui (70%), car la logique-même commandait de créer une base (mais pas un comptoir) à Sein si on voulait valider le trafic maritime vers le Léon et la Cornouaille. Quelques rappels toponymiques appuient cette affirmation. Mais étaient-ce des Phéniciens-Phéniciens, ou des Phéniciens-Vénètes ?
- Non ( 30% ) car on n'a pas encore identifié formellement la moindre preuve matérielle de leur présence.

Mais filiation spirituelle, certes. A l'époque où l'ineffable Jean-Hérold Paqui proclamait sur les ondes de Vichy "L'Angleterre comme Carthage sera détruite", le Général de Gaulle, passant en revue les 500 premiers volontaires de la France Libre, et constatant que 130 d'entre eux étaient originaires de l'île de Sein, lançait la boutade :
- L'île de Sein est donc le quart de la France ?

Hannibal eut-il mieux dit ?



Et puis, en arabe, "ras" veut dire cap ...